Comment parler de sexualité avec des adolescents ? LOU PAPEL DOU PAPE NUMERO 7 NOVEMBRE 2022

Comment parler de sexualite avec des adolescents ?

LOU PAPEL DOU PAPE NUMERO 7 NOVEMBRE 2022

Présentation de l’article

« Lou papel du Papé » (en occitan, ça veut dire le bulletin du vieux) est un bulletin de réflexions, de recommandations, de commentaires divers à propos de l’évolution d’Aventures Nomades. Il n’engage que la responsabilité du « psy du coin », même si ces élucubrations sont discutées avec les psychologues de la cellule clinique. Il s’agit d’apporter une pierre à l’édifice.

« Comment parler de sexualité avec les adolescents » Robert BRES , Intervention à la journée « Sexualité et Adolescence » du CRIAVS, CHU Montpellier

18 NOVEMBRE 2022 

1/ Remarques préliminaires

– Les adolescents constituent un groupe très hétérogène avec des enfants attardés en adolescence, des adultes précoces et des égarés en exil d’eux-mêmes : des tortues, des lièvres et des paumés empruntés et déplacés.

On va donc devoir parler de sexualité avec des initiés déjà, des pratiquants du sexe parfois, des connaisseurs bien informés souvent,
et aussi avec de grands inhibés effarouchés ou amusés par ces gaudrioles. Et il y a les traumatisés par des expériences subies (viols, incestes, tournantes…) ou par des informations ob-scènes (en avant de la scène) dénichées comme à l’insu de son plein gré, ou révélées brutalement au décours d’une vidéo, par un adolescent encore hors d’état d’y comprendre quoique ce soit.

Vous m’avez compris, il s’agit de rencontres singulières qui se conjuguent donc au singulier.

Le sexe comme le soleil et la mort, est un objet que l’on ne peut voir de face, ça éblouie, ça bouleverse et ça fascine. Pour le soleil et la mort, on détourne le regard, alors que pour le sexe ce regard est capté. « Cachez ce sein que je ne saurais voir » dit l’homme qui n’en perd pas une miette et ne peut se détourner. Il en a plein les yeux et la bouche close.

– Toute communication entre adultes et adolescents est délicate et parler de sujets tels que la sexualité l’est encore davantage. Elle se heurte entre autre aux rapports différents au langage qu’adultes et ados (du moins une grande partie d’eux) entretiennent. On parle « pareil » mais on ne dit pas la même chose. Pour l’adulte, le mot est un signifiant équivoque qu’il s’agit d’interpréter alors que pour beaucoup d’ados, c’est un signe univoque qu’il suffit de décoder.

Pour les plus anciens d’entre nous : souvenez-vous de cette adolescente un peu gourde qu’était France Gall à l’époque quand elle chantait « Annie aime les sucettes… » sans entendre ce que ce pervers de Gainsbourg lui faisait vraiment chanter. Elle ne l’a compris que plus tard, rougie de honte d’autant qu’elle avait eu vraiment plaisir à le faire. Et là où elle suçait encore son pouce, Gainsbourg insinuait que ce n’était pas un pouce.

La communication se heurte aussi à la crainte de l’ado des intentions dissimulées qu’il prête à l’adulte : « que cherche-t-il à savoir de moi sous ses airs patelins ? et que va-t-il faire de ce que je lui dis ? »

2/ On parle, et d’abord, qui parle ?

-Les parents, soucieux d’en savoir exactement, inquiets de dérives ou de maladresses probables, des parents encore trop jeunes pour entendre ces vérités ou trop aguerris pour se satisfaire de non-dits et de mensonges. Non, les parents sont les plus mal placés, confondant l’intimité de l’ado et la leur, trop pris dans des élans passionnels, trop proches aussi ou trop faibles aux yeux de l’ado qui cherchent encore à les protéger. Les parents attendent des réponses non pas à leurs questions, mai à leurs inquiétudes. Alors ! Exit les parents de l’intimité de l’ado

-L’éducateur ou plus exactement le discours éducatif ? Pour l’ado, il est celui qui doit apporter des réponses, conseiller et contrôler, dire ce qui est bien ou mal, compatible ou pas etc. Il est celui qui sait, chargé de contrôler ce que l’ado sait. Alors, l’ado lui sert la leçon attendue, « se la raconte » parfois, mais ne se risque souvent pas à parler de lui

-Un quidam quelconque, déguisé parfois en psy chologue ou chiatre, psy-éduc ou « psychiste », un « irresponsable » au sens qu’il n’a pas de réponse, sur lequel l’ado peut reporter le lien affectif permettant de babiller sans crainte (on appellerait cela un transfert), un babil qui ouvre progressivement à la parole. Ce babil n’est une parole que dans la stricte mesure où il y a quelqu’un pour y croire. Et croire qu’il y aurait quelque chose d’autre à entendre qu’une simple musique de mots. Des quidams de ce genre, il y en a au planning familial, aux Points Ecoute (les biens nommés, ce ne sont pas des points réponses), la Maison des Ados…

 

Soyons clairs : pourquoi vouloir parler de sexualité avec les ados ?

– Par voyeurisme ?

Quand même pas, je l’espère. Même si l’ado suspicieux de nos intentions masquées, se régale à nous livrer des propos scabreux, comme cette jeune fille qui me racontait avec force détails une scène de viol subi de la part de son oncle, un homme de mon âge me précisa-t-elle, en m’observant à la dérobée au point que je me suis demandé qui avait violé qui dans cette histoire

– Pour l’éduquer ?

En lui transmettant des informations diverses et en se posant comme un enseignant qui saurait bien sûr de quoi il parle. Alors que l’ado en sait souvent plus que lui grâce à sa dextérité à accéder aux @-savoirs. Il sait, même s’il ne comprend pas toujours ce qu’il sait.

– Pour le mettre en garde contre des dangers ou des errances préjudiciables ?

On imagine le pire dont il faut le prévenir. Et l’ado nous regarde parfois goguenard, amusé par ce qui nous passe par la tête pour ânonner de telles choses sordides et pour lui totalement exagérées voire même quasiment délirantes. Il ri de ce qu’il imagine qu’on pense et de ce qu’il pense qu’on imagine.

– Par prévenance ?

Afin que le meilleur puisse advenir. Et le meilleur serait un rapport sexuel « complet », une vraie rencontre, un au-delà de soi, goinfré de la présence et du plaisir de l’autre. Il faut pour cela prendre son temps, revisiter ses pulsions partielles des différents stades (oral, anal, phallique) avant de céder au primat du génital. Prendre son temps, être attentif à l’autre, voilà ce qui est difficile pour un ado qui ne souhaite que d’ « aller droit au but » car il n’est pas propriétaire de son temps, il n’est que locataire du temps des autres. Pour passer du « naturel » de la génitalité et parvenir à l’érotisation (ce qui sous entend des effets de culture), il semble primordial d’avoir eu accès à l’ordre œdipien. Ce qui n’est pas donné aux ados.

Sans ce temps à prendre et à donner, sans ce plaisir des préliminaires annonciateurs d’un plaisir intense, l’amour, n’est que de la gymnastique, nos ados garçons des éjaculateurs précoces et nos ados filles des « mal baisées » ou plus banalement des insatisfaites.

Un petit détour dans les statistiques : on estimerait à 130 par an le nombre de rapports sexuels d’une femme en France pendant environ 30 ans soit prés de 4000 rapports dans sa vie. Comme en moyenne, une femme en France donne naissance à 2 enfants, on en conclut que 99.95% des rapports ne sont que pour la gaudriole et que la probabilité d’avoir un enfant suite à un rapport sexuel est de 0.05%, ce qui statistiquement n’est pas concluant. Selon donc ce raisonnement pris avec un sérieux scientifique quasi autistique, il n’est pas prouvé qu’un enfant naisse suite à un rapport sexuel. Ah bon ? Alors, prenons la chose à l’envers, retournons la pour la prendre autrement (j’en vois qui sourient dans la salle, « par derrière » rigolent-ils) : une femme qui n’aurait aucun rapport sexuel, et bien !, n’aurait pas d’enfant non plus. Et bien non, il reste les éprouvettes par exemple et les mères porteuses de nos jours, les cuvettes de WC sales en des temps plus anciens, donc ça ne va plus non plus.

Et si on veut parler à un ado de sexualité, de quoi veut-on parler en fait ?

De la sexualité en général comme un cours d’anatomie ?

De notre sexualité et de nos propres tourments et incompétences ?

Du rapport sexuel en des temps immémoriaux dont il est la trace ?

De la sienne de sexualité ? Mais alors que veut-on savoir ?

Mis en confiance quand il se sent respecté dans ses propos, l’ado peut se laisser aller à dévoiler son intimité même si il nous est demandé de ne pas chercher à démêler le vrai du faux. Car dans ses racontars, l’ado parle de lui et à partir de lui, de ses vérités psychiques, de son être sous son paraitre (par-être). Alors laissons le cheminer dans ses errances, sans jauges ni jugements.

3/ Il parle :

– De sa sexuation, son Anankè (la déesse de l’irréversible, de ce qui ne peut ne pas advenir)

Sexué, au sens de secare (coupé), l’ado ne peut être tout. Alors, s’il est garçon, est-il comme les autres, dans les normes (l’énorme ?), comme ce patient qui se désolait de n’avoir qu’un sexe de 2 ou 3 frédis croyant que le nom d’un acteur porno, Rocco Sifredi, était une mesure de longueur. Et si c’est une fille, est-elle comme ses copines ou comme sa mère et peut-elle être mère ellemême un jour ? Quitte à prendre le risque d’être enceinte pour vérifier qu’elle peut être mère.

Alors l’ado entre dans des jeux sexuels dont le but est de se rassurer sur sa normalité. Le rapport sexuel n’est pas une rencontre de l’autre, mais une rencontre avec soi-même. Ce n’est pas de l’amour, c’est de la gymnastique sexuelle, toujours ratée hélas car faussée par les modèles proposés par la pornographie et les racontars invérifiables des copains et copines. Et il ne tient pas à ce que son ou sa partenaire parle car il craint son jugement.

L’affaire se brouille de nos jours avec l’émergence de toutes sortes de sexuations comme si Anankè était obsolète. Il y aura bientôt autant de sexes que d’individus, le sexe ne fera plus coupure et on pourra rêver d’être tout. Anankè ira jouer ailleurs. Pour suivre ce que m’a dit un jour Jean-Jacques Rassial, il y aura sans doute moins de névrosés engoncés dans leur appareil psychique, mais plus de psychopathes et d’états limites trop seuls dans un monde trop grand pour aider à se contenir ou s’étayer.

Ananké va donc jouer ailleurs que dans la différence des sexes et elle va notamment jouer dans le langage. On peut parler de tout certes mais on ne dira jamais tout. Les mots sont trop petits pour contenir tout ce que l’on voudrait et comme ce qui se dit est dans ce qui s’entend par l’autre, on ne sait jamais vraiment ce qui a pu se dire. Il y a toujours une « perte pure », un innommable, un malentendu, un manque qui laisse à désirer, ce qui pousse à dire encore et encore.

Seul, le discours amoureux, faisant fi de tout objectif de compréhension pour ne transmettre qu’émotions et tendresse échapperait à l’irrémédiable de la perte pure. Il rejoint le babil enfantin ou « lalangue » maternelle dont la mélopée nous a bercés avant qu’advienne le symbolique et ses inter-dits, organisant les mots et scandant les phrases. Et faire de lalangue, la langue. Ainsi un homme assis à la table voisine de la mienne, roucoulait des choses insensées à sa compagne. Il la traitait de canard bleu entre autre et elle en était apparemment charmée. J’ai voulu intervenir en notant que cette jolie femme n’avait rien d’un canard et pourquoi bleu, mais je me suis abstenu. Il me parait plus que probable qu’ils ont eu ensuite un rapport sexuel

 

– L’ado parle de son rapport à l’autre, celui ou celle qui n’est pas comme lui, qu’il considère comme un autrui dont il faut se méfier et réduire à un cul, un porte-bite, des nichons, un trou sans aucun mystère autour. Il le déshumanise en sorte. Et surtout il ne veut pas qu’il parle car parler se serait reprendre une position de sujet et par effet de retour sortir l’ado de sa place d’objet muet de ses pulsions. L’humanisation, comme la déshumanisation, est contagieuse. Autrui ! L’ado ne parle pas à toi !

Puis, en grandissant, l’ado découvre qu’autrui devient l’autre, celui qui n’est pas comme lui mais qui est susceptible de l’enrichir de ses différences. Et surtout, il l’écoute parler et s’en régale.

Parler, ce n’est pas raconter des histoires données comme extérieures à soi-même. Parler, c’est surtout s’engager dans ses propos, devenir propriétaire de ce qu’on dit. C’est ce qu’on appelle s’affranchir de l’Œdipe et donc en finir avec son adolescence. Et voilà pourquoi madame, votre enfant est muet.

– Il parle aussi de son intimité ou du moins de ce qui lui en reste avec l’intrusion des réseaux sociaux dans les moindres recoins de ses histoires, de son histoire. L’intimité devient ex-timité, tout sort de scène, il n’y a plus de jeu possible (tiens ! de « je ») et en avant de la scène, nous revoilà dans « l’ob-scène .

4/ Il faut être clair avec les ados en acceptant de « jouer cartes sur table » et en précisant

1/ qui parle ?

– le parent et lequel ? La mère, le père voire la grand-mère et le grand-père dont on imagine une sexualité moins active et donc suffisamment de recul pour ne pas mêler leur intimité sexuelle avec celle de l’adolescent.

On imagine aisément la mère causant de ça avec sa fille et le père avec son fils car il s’agit d’histoires de femme pour les unes et d’histoires de mecs pour les autres. Et dans ce cas, est-ce la mère ou la maman, le père ou le papa ?

– L’enseignant ou l’éducateur soucieux d’énoncer le conforme ou le non-conforme selon ce qui est inscrit au programme et qu’il livre « machinalement » comme la leçon du jour, ou qui intervient car des rumeurs diverses circulent ? ce qui embrouille l’ado qui ne sait pas ce que cet éducateur sait, ni comment il a pu le savoir. Leur rôle est d’amener des réponses à des questions que souvent l’ado ne se pose pas

– Le « psychiste » dont le rôle est d’amener des questions à un ado qui n’aime pas beaucoup qu’on « lui prenne la tête »

– Le confesseur, le moraliste ou le religieux chargé de rappeler le bien et le mal

– Les autres ados, les pairs-aidant ou pas

 

2/ de quoi parle-t-on ?

 

 

Quelle est notre intention ? En gros, que venons nous faire ici et qu’allons-nous faire de ce qui se serait dit ?

 

 

3/ Comment en parler ?

 

 

Au singulier, dans un dialogue singulier, car l’intimité des uns n’est pas celle des autres (C’est un truisme, une vérité vraie, une évidence pas si évidente de nos jours)

Parler de sexualité avec un ado, ce serait dans l’intimité de notre entretien, le remettre en scène, là où le jeu (à écrire comme bon vous semble) redevient possible, crédible et entendable.

 

Article : Robert Bres

 

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LE CERVEAU EN ÉBULLITION DE L’ADOLESCENT, LOU PAPEL DOU PAPE NUMERO 6

LE CERVEAU EN ÉBULLITION DE L’ADOLESCENT, LOU PAPEL DOU PAPE NUMERO 6

Présentation de l’article

« Lou papel du Papé » (en occitan, ça veut dire le bulletin du vieux) aimerait devenir un bulletin de réflexions, de recommandations, de commentaires divers à propos de l’évolution d’Aventures Nomades.

Il n’engage que la responsabilité du « psy du coin », alias Robert. Il s’agit d’apporter une pierre à l’édifice composite d’Aventures Nomades.

Intervention de Robert Brès à l’académie de médecine de Montpellier en 2015 (« Maitre cerveau sur son homme perché »)

C’est devenu une banalité de dire que l’adolescence est une construction sociologique, psychologique et physiologique. C’est pourtant autour de cette banalité que j’interviens aujourd’hui.

Sociologiquement, l’adolescence est un OSNI, un « objet social non identifié », dont une des caractéristiques est qu’il est source et lieu de malentendus entre l’ado et l’adulte qui le côtoie, l’ado et l’adulte qu’il finira bien par être un jour, l’ado et l’enfant qu’il fut, l’ado et cet autre lui-même qu’il est parfois.

L’adolescence n’existe pas dit-on parfois,  et ceci est à entendre comme si c’était un objet qui n’est pas délinéé (une forme dont on ne peut pas tracer le contour), un objet qui ne se situe pas « hors de soi » (étymologiquement, ex-sistere, c’est se situer hors de soi), mais elle insiste (étymologiquement, in-sistere, c’est se situer en soi).

 C’est au début du XXème siècle, que s’est créé ce « monstre », au sens de ce qui se montre :

Avant, chaque adolescent était en apprentissage, en formation, en attente de s’inscrire dans un avenir que le monde adulte avait déterminé pour lui. « Ce n’est pas le fils ainé du paysan qui héritait de la ferme de ses parents, mais bien la ferme qui héritait de lui » (selon la formule de Karl Marx dans le manifeste du parti communiste). On parlait alors de conflits de génération.

Maintenant, l’adolescent appartient à un avenir que personne autour de lui ne connait. Il est en adolescence comme d’autres sont en voyage, en vacances, en tourisme etc. et vit des aventures qui souvent ne sont que celles du voyage. Mais il ne sait pas vraiment où il va. On parle alors de crise avec ses trois de temps de rupture, de risques et d’indétermination. Tout adolescent est en crise car il est en adolescence et que l’adolescence en une crise

On a finalement que les adolescents qu’on mérite car ils sont en grande partie notre propre production : des ados sur-stimulés par le mode des objets, appelés à courir d’innovations en innovations, sans avoir le temps de réfléchir à quoi cela servirait. Ils ont le nez dans le guidon et quand on a le nez dans le guidon, on ne voit pas bien la route.

 

Pour chaque adolescent, et c’est déjà moins banal, ce voyage est une aventure singulière. Comme un oiseau blanc au sein d’un groupe d’oiseaux noirs, il vole et « fait comme les autres », tout en regardant parfois le bout de ses ailes blanches, ne sachant que faire ni penser de sa singularité. Il est un parmi d’autres, convoqué au voyage non pas car il a tel ou tel âge, qu’il est dit-on « mineur » (ce qu’il entend parfois comme être moindre et privé de certains droits, et cela le révolte)  mais parce qu’il est « travaillé » par la puberté, et donc convié à vivre un moment existentiel bouleversant, une expérience « majeure ».

Déjà, il y a un siècle, Freud disait que l’adolescence est le symptôme de la puberté dont les remaniements physiques (avec notamment l’apparition des os sésamoïdes du pouce, voir image), physiologiques, morphologiques etc. induisent des effets psychologiques (avec mise en cause des processus d’identification, du sentiment d’existence et de continuité d’existence, grandes questions existentielles genre suis-je, que suis-je puis qui suis-je, le tout dans un vécu affectif perturbant, sexualisation du lien social …), effets psychologiques que l’étayage social (familial et familier) contient à grand peine .

Os sésamoïde du pouce de la main gauche en l’occurrence, signant l’entrée en adolescence et accessoirement à la Maison des Ados 34 ou à Aventures Nomades.

 

 

 

Ce bouleversement pubertaire affecte évidemment l’anatomie et le fonctionnement cérébral.

 

Et on décrit pêle-mêle une efflorescence neuronale échevelée, une inadéquation du système glial chargé entre autre de gainer les axones, de les nourrir et d’élaguer les proliférations neuronales non pertinentes, une hétérochronie (tout ne se fait pas dans le même temps) de la « mise en ordre » du fonctionnement cérébral, un bombardement hormonal  (hormone de croissance, progestérone et œstrogènes pour elles, testostérone essentiellement pour eux, qui comme toutes hormones excitent, impulsent et stimulent) etc.

Que se passe-t-il, en fait ? Il y aurait une explosion de neurogénèse et de synaptogénèse entre 7 et 11 ans. Le cerveau dispose alors d’un énorme potentiel. Cette phase est suivie à l’adolescence d’une décimation massive des neurones et synapses, et en même temps d’enrichissement de réseaux et sous-réseaux. Décimation : en effet, selon le principe de « darwinisme neuronal » (défini par Gerald Edelman en 1987), sorte de sélection naturelle, ne survivront que les neurones et synapses qui servent. Un principe d’économie qui veut que l’organisme ne nourrisse pas ce qui est inutile. Les neurones et synapses qui ne sont pas utilisés disparaissent donc massivement. D’où l’importance de stimuler l’activité intellectuelle dans cette période de la vie d’un être humain, pas uniquement pour maintenir un « capital », mais aussi pour l’enrichir encore et encore.

Simultanément à cette perte de matière grise un autre phénomène se développe : la myélinisation des fibres conductrices des neurones. La vitesse de l’influx nerveux s’accélère et peut alors passer, m’a-t-on dit,  de 0,5 m/s à 120 m/s. Perte d’un côté, enrichissement aussi ai-je dit, et efficacité démultipliée pour ce qui reste-là.

Cette myélinisation est hétéro-chronique. Comme l’ensemble de ce corps qui pousse à vitesse variable, le cerveau ne se développe pas de manière harmonieuse. Une des régions qui se myélinise le plus à cette période est le corps calleux qui relie les deux hémisphères du cerveau. Cette région du cerveau est impliquée dans la créativité et la réflexion de haut niveau. De plus cette myélinisation se fait progressivement de l’arrière du cerveau vers l’avant. Les premières régions concernées sont les aires limbiques sièges des émotions générées par les perceptions du monde extérieur. Les dernières régions concernées sont les aires frontales qui sont celles de la réflexion abstraite et de la mise à distance du monde réel.  Ainsi l’ado réagit plus vite qu’il ne pense, et il est plus bousculé par des émotions qu’enclin au sentiment. Par exemple, il peut ressentir de la joie, une émotion joyeuse, tout en disant qu’il n’a pas le sentiment d’être  heureux, parfois il ressent une vive émotion dont il ne peut même pas dire si c’est de la joie ou de la tristesse (on parle alors d’alexithymie pour désigner cette incapacité à nommer ses émotions, incapacité en fait à penser ses émotions selon Jean Bergeret, 1980).

 

Ce bouleversement (gainage hétéro-chronique et donc disharmonieux, décimation neuronale etc.) se traduit par des troubles de la synthèse et du jugement, des troubles de la gestuelle et de l’équilibre (la « gaucherie » de l’ado comme pris dans un corps encore trop grand pour lui, qui le déborde en long, en large et surtout en travers) et un contrôle émotionnel défaillant.

Vous l’avez compris, l’ado est un vrac, dans un trop plein d’émotions, de perceptions, de sensations, d’idées, de pensées et de sollicitations. Il a sur lui-même et sur le monde une vision panoptique ; il voit tout d’un coup mais n’a que rarement le temps de traiter ce qu’il voit.

Trop, voilà un adverbe largement utilisé par les ados, et quand c’est plus que trop, ils disent too much, comme si en utilisant un mot étranger, tout neuf pour eux, cela permettait de nommer ce qui leur arrivent, des impressions toutes neuves. C’est vrai que dire je t’aime, c’est un peu étroit, alors on élargi son amour par un i love you, qui en dit plus quand même. Trop, c’est le top, il n’y aurait pas plus, alors que très renvoie à un possible toujours plus. Très laisse à désirer, renvoie au manque et au désir, alors que trop, renvoie à la plénitude ou au vide quand, on manque de trop. Marie, une ado de 15 ans me disait qu’elle manquait de trop d’amour.

Métaphoriquement, le cerveau de l’adolescent est une sorte de boitier électrique aux nombreux fils parfois mal branchés, montés « en dépit du bon sens » et parfois dénudés, ce qui entraine des connections surprenantes, des courts circuits et des « pétages » de plombs. On comprend ici, qu’il y a une grande disparité chez les ados « du même âge » entre ceux qui ont rapidement développé et organisé leur fonctionnement cérébral (passant ainsi pour des surdoués, des précoces ou des hauts potentiels, des petits génies ou des « adultes avant l’heure » ; moi, je les appelle les lièvres) et ceux qui trainent à se stimuler et à s’organiser, que j’appelle les tortues. Rassurez-vous, parents de « tortues », selon La Fontaine, ce n’est pas toujours le lièvre qui gagne à la fin.

Métaphoriquement, le travail dévolu à l’adulte en charge de l’adolescent est celui du jardinier penché sur un arbuste buissonneux, élaguant par-ci par-là pour dégager un tronc et ajoutant des engrais pour stimuler la croissance. C’est ce que nous faisons, empiriquement, tant au CHU, Unité de soin pour adolescents, avec les soins dits en médiations (groupe de parole, écoute musicale, ateliers conte et ateliers d’écriture, relaxation et soins en eau et thérapie, art-thérapie etc.), à la Maison des Ados 34 avec les activités dites socioculturelles et surtout à Aventures Nomades. C’est ce que nous faisons en incitant l’ado à parler de ce qu’il a ressenti, ce qu’il a exprimé, bref en quoi ce qu’il a dit lui a parlé. C’est par le langage que s’effectue ce travail d’élagage, car c’est par le langage que s’organise la pensée. Il « recoud ce que le cri déchire » (Carole Martinez, Du domaine des murmures, 2011), il met les idées en ordre et contient les affects.

L’adolescence prend fin avec l’émergence d’un sujet doué de langage, un sujet qui fait son temps en incarnant son histoire. Une jeune fille me disait au sortir de son adolescence, qu’elle se sentait devenir propriétaire de son temps, de sa parole et de son histoire, alors que jusque-là, elle n’était que locataire du temps, des mots et des histoires des autres. « Je m’installe à mon compte/conte, écrivez-le comme vous voulez ». Elle parlait et entendait ce qu’elle disait, entendait aussi ce que les mots disaient d’elle, comprenait que les mots étaient ventriloques et disaient de nous ce que nous ignorons d’eux. Serait-ce cela, devenir adulte ?

Il me reste une question : si j’ai tant de mal à comprendre ce qu’un étranger me dit dans sa langue pour moi si étrange, ce n’est peut-être pas uniquement que je ne sais pas grand-chose de sa langue, c’est peut être aussi que je ne comprends pas comment s’est organisée sa pensée (cf travaux d’Eric Kandel, prix Nobel en 2000). Je peux ainsi réciter des mots anglais, allemands, portugais ou autres, voyager dans ces langues sans jamais être dans ces langues. Je ne parlerai finalement qu’anglophone, germanophobe ou autre, mais pas vraiment anglais ou allemand. J’en connais la musique, mais je ne suis pas musicien (pour parodier le jugement de Monsieur de Sainte Colombe à Marin Marais dans « tous les matins du monde », Pascal Quignard, 1991).

Quand on me parle en « étranger », je suis, mais je ne pense pas. Et souvent, quand on parle à l’adolescent, notre langue semble lui paraitre bien étrangère, alors, il suit, mais ne pense pas.

Aidons le à grandir, à se frayer un chemin au travers de ce pays des ados en imaginant toujours le meilleur pour lui. Après tout, nous en sommes bien sorti de cette affaire et, convenez-en, ce n’est pas si mal.

Article : Robert Bres

 

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LOU PAPEL DOU PAPE NUMERO 5 JUIN 2022

LOU PAPEL DOU PAPE

NUMERO 5

JUIN 2022

Présentation de l’article

« Lou papel du Papé » (en occitan, ça veut dire le bulletin du vieux) aimerait devenir un bulletin de réflexions, de recommandations, de commentaires divers à propos de l’évolution d’Aventures Nomades.

Il n’engage que la responsabilité du « psy du coin », alias Robert, Einstein pour les uns ou Toubab Toubib Bob pour les autres, même si ces élucubrations sont discutées avec les psychologues de la cellule clinique. Il s’agit d’apporter une pierre à l’édifice.

 « Le docteur Patrice Charbit, PDG du la clinique Saint Martin de Vignogoul près de Montpellier m’a proposé d’intervenir à leurs journées annuelles dites Isadora devant un parterre de psychiatres, psychologues, infirmiers etc. J’ai écrit ce texte lors de mon séjour à Warang en mai 2022 en pensant à Geneviève que j’ai rencontrée en 1976 alors que je travaillais comme infirmier de nuit dans cette clinique et où elle était psychologue stagiaire. On est resté 45 ans ensemble.

La mort saisit le vif, et l’oiseau ferme la marche (Georges Bataille»

SANS VERGOGNE

J’avoue aimer les mots, les entendre, les prononcer, jouer avec eux, parfois les torturer pour savoir ce qu’ils ont dans le ventre et leur faire dire autre chose que ce qu’ils disent. En bon inquisiteur, je les passe à la question pour obtenir, par la torture, des informations secrètes.

Sauf que parfois les mots se vengent et révèlent de moi ce que j’ignore d’eux (cf. René Char) et parfois ils disent n’importe quoi. Les mots sont là, ils sont dits pour nouer une alliance, une symbolique mais quand ils nous échappent et se livrent à des exercices de ventriloque, on ne sait plus qui parle, ni de quoi il s’agit…finie l’alliance, fini le symbolique. Ah ! Ce que les mots dits sont diaboliques ! …vous entendez, ils recommencent.

Alors, quand Patrice Charbit m’a proposé le mot vergogne, je fus transporté comme un gosse à qui l’on file un nouveau jouet, et je l’ai disséqué, torturé, pressé de part en part, sans aucune retenue, sans pudeur, sans considération…bref, sans vergogne.

La vergogne implique une idée de considération de l’autre et de soi-même, de pudeur, de retenue, de crainte de donner de soi une image par trop négative, bref de « civilité ».

C’est un vieux mot inusité dit-on, sauf dans l’expression sans vergogne, un mot dont on parle quand ce qu’il représente n’est plus. Être sans vergogne, c’est être sans considération de l’autre, sans pudeur ni retenue, sans crainte de l’image que l’on donne, c’est être dans « l’incivilité ».

Le sans vergogne se distingue du coupable (celui qui serait susceptible d’être coupé) qui reconnait dans ce qu’il dit ou fait une intention jusque là inconsciente, du honteux qui voit de lui une image indésirable et de celui en proie à la mauvaise conscience qui se reconnait responsable mais plaide non coupable. Le sans vergogne s’en distingue parce que lui, il fait fi de l’autre, de l’intention qu’il révèlerait, de l’image qu’il donne ou de la responsabilité dont il devrait répondre. Pour lui, l’autre est « dématérialisé », déshumanisé, totalement gommé.

On a tous vécu des moments de culpabilité, de honte ou de mauvaise conscience et on a tous subi des expériences sans vergogne émanant d’un autre évidemment car, si vous m’avez suivi, quand c’est nous qui sommes sans vergogne, l’autre on s’en fout et donc on ne sait rien de ce qu’il éprouve.

Voici quelques figures de sans vergogne :

  • L’élation narcissique

Commençons par une figure parfois plutôt sympathique, celle de ces personnes qui décident d’aller faire la fête ensemble à l’occasion par exemple des 50 ans de la clinique Saint Martin. Tout est prêt : les lampions sont en place dessinant l’aire de jeux, il y a des flonflons, les tables sont disposées et des bouteilles bien rangées viennent signifier que la fête va battre son plein. Rien ne manque car tout manque est évacué par le mouvement incessant de bouteilles vides rejoignant les cadavres et de bouteilles pleines assurant la pérennité de la fête. Alors chacun se livre sans retenue, ni pudeur, ni honte etc. à toutes sortes de gesticulations genre danse des canards, des vociférations parfois imbéciles, des déshabillages découvrant des anatomies suspectes. Ils se foutent d’être beaux ou pas ni de chanter juste, ils sont exhibant et chantant, et ne supporteraient vraiment pas que quelqu’un vienne leur dire : « tu t’ais vu quand tu as bu ? 

« Non, le rituel auquel je me suis librement soumis et que je respecte à la lettre, me permet de pas me voir et ne pouvant me jauger, je ne peux me juger ». Attention, ces gens ne sont pas des alcooliques, et d’ailleurs celui qui dépasse la mesure en buvant trop s’évacue de la salle pour rejoindre les cadavres de bouteilles.

L’élation narcissique est au prix d’une soumission absolue au rituel.

 

  • L’incivilité

Voici un problème en grande progression dans notre système culturel. Le souci bienveillant de l’autre n’est plus (il est vrai qu’au Sénégal, j’ai découvert la Teranga et ce qu’elle contient de vergogne), les gens se croisent sans le moindre regard, chacun est soumis à sa bulle narcissique, les yeux dans le vague et les oreilles obstruées d’écouteur divers, ne faisant aucun cas de l’autre. Telle cette jeune femme aperçue dans le tramway, les pieds sur le seul fauteuil encore libre, le téléphone à la main et en grande conversation avec un interlocuteur invisible. Elle était sourde aux nombreuses protestations des autres passagers, bref elle n’en avait absolument rien à foutre et vociférait de plus belle. Que faire ? Je me suis alors souvenu de ce que Charles Aussilloux m’avait dit concernant les autistes : « Il ne faut pas chercher sans cesse à le faire entrer dans notre monde, il faut plutôt entrer dans son monde » ou quelque chose comme ça. Alors, je me suis mêlé à sa conversation en faisant des commentaires (les biens nommés) du style : « vous y allez fort !, bien envoyé !, ah ça c’est méchant, le mérite-il ? Etc. » et au bout d’un petit moment cette femme a baissé la voix disant à son interlocuteur invisible qu’il ya un type (je crois qu’elle a dit vieux con sans vergogne) qui se mêle de sa conversation alors elle est obligée de parler à voix basse. Elle a même retiré ses pieds du fauteuil. J’ai quitté le tramway sous les regards quasi admiratifs des passagers.

 

  • Sa majesté l’enfant

Soumis à sa mère qu’il tête goulument, il rote, pète et chie sans la moindre gène ni le moindre effort, sans vergogne donc. Si cette mère est également la votre, alors vous avez connu ce que Marie Madeleine Chatel, citant Jacques Lacan, nomme la « frérocité », ça vous saute aux yeux car à aucun moment il ne semble avoir pensé à vous. Ce petit arrivé après vous, vous étiez prêt à l’aimer comme un frère à condition qu’il vous laisse une place, qu’il n’est pas l’air de faire fi de vous. Alors la haine vous envahie.

Il ya peut-être quelque chose de cette haine de « frérocité » dans les récriminations des français dits d’origine furieux et féroces envers les immigrés arrivés donc après eux qui se goinfreraient de nos allocations, RSA et autre que nous dispense notre mère patrie. Ils hurlent à la préférence nationale comme vous hurleriez à la préférence maternelle.

 

  • L’aspiration à la dictature voire à la monarchie.

Le dictateur comme le roi d’ailleurs, nous délivre de la liberté de choisir quel type de société on aimerait construire pour offrir la liberté de jouir de nos biens même mal acquis et des avantages que notre soumission nous permettrait de grappiller comme des miettes du repas de pouvoir et de jouissance dont semble se repaitre dictateur ou monarque. On peut y lire dans cette soumission la quête d’une assurance de ne pas perdre la vie. La soumission serait alors un gage de liberté.

Juste un petit détour du côté du Pass vaccinal imposé sur les recommandations des autorités de santé. On était libre de ne pas se faire vacciner contre la Covid 19 à condition de renoncer à travailler dans les centres de soin par exemple, à aller au restaurant ou à voyager. S’y soumettre nous donner la liberté d’y aller. Une blague : « A quoi sert le vaccin contre la polio ? » « Et bien, à ne pas avoir la polio » « bien et à quoi sert la vaccin contre le tétanos » « Ben, à ne pas avoir le tétanos » « Bien et à quoi sert le vaccin contre la Covid » « Ben, à aller au restaurant »

De La Boétie nous a mis en garde : le tyran peut à tout moment ôter les privilèges et la vie, on est donc potentiellement deux fois perdants, et il nous signale que si le tyran nous parait grand, c’est qu’on est à genoux.

 

  • La banalité du mal

Abordant la question des Nazis, Hannah Arendt parle de la banalité du mal. Pris dans une dépendance absolue aux consignes, protocoles et préconisations imposées par les autorités, certains d’entre eux ont occulté la question éthique du bien et du mal au profit du conforme et non-conforme. « Si je fais comme il faut, c’est-à-dire comme le dit le protocole, alors, je fais bien » et ils se sont rendus complices d’une vaste entreprise de déshumanisation qui par effet de retour les a eux-mêmes déshumanisés

Tout se passe en fait comme s’il y avait chez beaucoup un désir de soumission et de renoncement à la liberté pour être heureux (Cf. Roland Gory). Je n’avais entendu parler que de la forme paradigmatique de ce désir dans les rapports sexuels et c’est à la lecture d’une nouvelle de Dino Buzatti (le K) que j’ai entrepris son extension.

 

Le Désir de soumission (Wikipedia, revue de psychologie, article non signé)

 

Le désir de soumission ici est une démarche active. Il donne quelques clés de compréhension.

Il est souvent décrit comme un fantasme qui structure nombre de pratiques sexuelles. Mis en scène dans la pornographie, il est présent dans les sexualités plus traditionnelles.

 

  • Une règle du social

Tous les groupes sociaux animaux et humains intègrent le couple domination/soumission dans leur structuration. En contrepartie de leur soumission, les dominés réclament la protection des dominants. Ce fonctionnement instaure la dynamique du pouvoir au sein du clan. Dans la nature, les règles de dominance sont fixes et permettent la survie de la lignée et plus loin de l’espèce. L’une des principales repose sur la différence générationnelle. Les adultes protègent les plus jeunes qui obéissent. Cette structure a survécu à l’évolution et se retrouve dans les groupes humains. Elle fondait les pratiques éducatives et l’enseignement jusqu’à la crise du numérique et les remaniements inhérents, mettant à mal le couple domination/soumission et la dynamique du pouvoir.
 

  • Une érotisation très ancienne

L’Homme arrive à la vie dans un état de développement incomplet (néoténie). Le nourrisson ne peut survivre sans le concours de l’adulte. Par sa dépendance totale, il voit la satisfaction de ses pulsions remise entre les mains de l’autre. Il est donc assujetti aux bons vouloirs de ses prédécesseurs. Cet état instaure alors la soumission comme la première des exigences vitales. En effet, la soumission s’inscrit comme préliminaire à la satisfaction puis au plaisir. En contre partie de cette abdication, il devient « sa majesté l’enfant » dans une illusion de toute puissance, dont le corollaire serait notre impuissance.
 

  • Le phallus

Mais ce fantasme n’est pas le seul agissant dans la soumission. Ce qui entre en jeu, c’est aussi la question du phallus.

« Mais qu’est-ce que c’est, le phallus ? » disait la femme de ménage au psychanalyste qui avait laissé trainer sur son bureau des ouvrages et des textes relatifs à cela.

 « C’est en fait la métaphore, quoique ratée, du manque » répond celui-ci, agacé qu’on lui demande une réponse claire

« Ah bon ! » dit la femme en écartant les bras signifiant là qu’elle n’a rien compris. Alors, le psychanalyste déboutonne sa braguette, montre son pénis et dit à la femme ; « le phallus, c’est ça ! »

« Ah » dit la femme « c’est comme un sexe, mais en plus petit ». Pour le coup, la métaphore est vraiment ratée.

Tout désir donc est articulé dans un rapport au phallus. Certains se pensent le détenir, certains souhaitent l’obtenir, d’autres encore angoissent de s’en voir déposséder. Se soumettre c’est reconnaître à l’autre qu’il ou elle le possède et c’est désirer entrer dans un échange. Le dominant est pensé comme celui qui peut l’apporter. Par conséquent, la soumission offre la possibilité de le capter. Dans la soumission, le phallus est l’enjeu inconscient. Il est ce qui cause le plaisir.

 

  • Soumission et désirs

Plus généralement, lors des rapports sexuels, la soumission procède d’un va-et-vient entre les amants (Bon on va dire ça comme ça !). Ainsi, chacun se montre soumis au corps et au plaisir de l’autre. Leur position alterne, ils sont coordonnés. Et voila pourquoi, madame, votre fille est muette !

 

 

Et la littérature et le cinéma nous donnent : « On est toujours trop bon avec les femmes » de Raymond Queneau (1971), Atame d’Almodovar (1990), Portier de nuit de Liliana Cavani (1974) et Le maitre et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov (1940) entre autres

L’actualité a elle apportée, le syndrome de Stockholm, celui de Lima, la radicalisation, les déviances sectaires et les addictions etc.

 

 

Psychiatrie, le grand remplacement

Rassurez vous je ne vais pas me contenter de dire que les psychiatres se sont mis à manger du couscous plutôt qu’un rôti de porc. Non, le grand remplacement c’est qu’on a changé de paradigme m’ont dit les uns, de logiciel on ajouté les autres. Ce qui se faisait avant n’est pas contesté, ce serait une façon de le reconnaitre et pourrait ouvrir à discussion, il est remplacé, on a tourné la page pour écrire autre chose et on l’écrit sans vergogne.

J’ai appris dernièrement qu’au musée des abattoirs à Toulouse (vous voyez les mots disent des choses dures ! Abattoirs !) il y avait une exposition sur la « déconniatrie » en hommage à François Tosquelles. C’est un hommage certes mais ça met la psychothérapie institutionnelle au musée. Circulez, il n’y a rien à voir !

Le changement de paradigme, je l’ai pris en pleine figure à la fin du siècle dernier quand je m’occupais de toxicomanes (ils n’étaient pas encore fondus dans le lot hétéroclite des addicts). J’essayais bêtement de les aider à ne plus être ce qu’ils étaient devenus. « Soyez réalistes, imaginez l’impossible » avais-je envie de leur dire. Non, on m’a demandé de leur dire « soyez pragmatiques, assurez le minimum », et le minimum serait de bien prendre leur traitement de substitution, faisant de leur intempérance une banale maladie, de ne plus se shooter dans des lieux publics mais dans des espaces dédiés, de ne pas laisser trainer leurs seringues (dans les bacs à sable notamment car la priorité est bien de protéger les enfants), et si possible de ne pas faire d’over dose n’importe où. Comme j’étais énervé je leur ai dit que j’allais leur apprendre le caniveau, ça ne leur a pas plu.

A la maison des adolescents les protocoles sont arrivés avec des dossiers à numériser, à dématérialiser et on ne parle plus de soin mais d’évaluation, d’expertise et d’orientation (où, quand, comment, pourquoi, voilà des questions qui ne se posent plus). J’y perds mon latin aussi avec des mots que je n’arrive pas à torturer (coaching, burn out, border line), des mots anglais qui même passés à la question ne me disent rien, ne révèlent aucune vérité cachée. Et j’ai peur qu’à force de parler anglais, on ne puisse plus penser français. Le langage sait-on maintenant façonne la pensée et les circuits neuronaux impliqués. « Ma mamelle est française et mon lait est pour des enfants qui plus tard chanteront la Marseillaise » chantait-on en 1940 devant la menace d’un « grand remplacement ».

La langue française produirait ainsi des modifications neuronales génératrices d’un « Non su » qui ferait chanter la Marseillaise « à l’insu de son plein gré ».

A l’hôpital, on m’a demandé de me soumettre aux protocoles, aux préconisations des conférences de consensus, de respecter les conclusions des études pharmacologiques, de me soumettre à ce qu’ils disent (protocoles, conférences et études) en fixant une ligne forte entre le vrai et le faux, le bien fait et le mal fait, la psychiatrie et la « déconniatrie » maintenant muséale. Si je fais comme il faut, je fais bien. Le soin n’est plus une aventure singulière, une co-construction, c’est devenu le déroulement machinal, dématérialisé, voire déshumanisé d’un schéma donné par l’expertise. 

On est entré dans une société du directement utilitaire et les non-utiles sont écartés, dématérialisés eux-aussi, dans une société où chacun ne veille qu’à garder ses acquis, notamment son pouvoir d’achat et qui n’a comme projet que nettoyer la planète. La citoyenneté n’est plus liée à un poste de travail, mais à des revenus divers. On a vraiment changé de paradigme. L’exclu n’est plus celui qui n’a pas de travail, c’est celui qui n’a pas d’argent, qui n’a plus de pouvoir d’achat.

La psychiatrie est la réponse culturelle à la question de la folie, changer la culture change la réponse. A nous, qui aimons notre métier avec plus ou moins de passion, d’inventer la psychiatrie de demain avec ses utopies, ses coups de folie, ses errances et son devoir de fraternité. « Liberté, Egalité, Fraternité », voilà un logiciel qui n’a pas (encore) changé, et si les deux premiers termes sont un droit, le troisième est un devoir. En fait, il nous faut réintroduire de la vergogne avec considération bienveillante de l’autre, retenue et humilité, civilité et surtout mise en question de soi-même. Un psychiatre torturé serait un psychiatre libre, un psychiatre satisfait aurait cédé à son désir de soumission.

La folie existait bien avant la psychiatrie et elle lui survivra. Elle ne sera jamais réduite à une maladie ou à un handicap dû à un dérèglement neurophysiologique qu’il faut non pas soigner mais traiter ou aménager, normaliser.

C’est une affordance, ce pli dans le tapis qui vous déstabilise et vous fait voir brusquement le tapis autrement.

 

J’aime les gens fêlés, vous l’avez compris, car ils laissent passer la lumière (Michel Audiard) et cette lumière éclaire entre autre les coins sombres de nous même. Tant pis, même si j’aime Bob Dylan, je ne le suivrais pas quand il chante ; « A quoi ça sert de chercher la lumière, je veux rester dans le noir…N’y pense plus, tout est bien ! » car chanter dans le noir en psalmodiant protocoles validés, préconisations de conférences de consensus, recommandations pharmacologiques etc. permet peut-être d’avoir moins peur, mais ne permet surement pas de voir plus clair.

Article : Robert Bres

 

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LOU PAPEL DOU PAPE NUMERO 3 MARS 2022

LOU PAPEL DOU PAPE

NUMERO 3

MARS 2022

Présentation de l’article

« Lou papel du Papé » (en occitan, ça veut dire le bulletin du vieux)

aimerait devenir un bulletin de réflexions, de recommandations, de commentaires divers à propos de l’évolution d’Aventures Nomades.

Il n’engage que la responsabilité du « psy du coin », alias Robert Brès.

Les ados incasables

Notre projet est d’accompagner les fameux adolescents incasables, en fait ces cohortes d’adolescents qui mettent à mal tout ce que notre culture met en place pour les contenir ou les soutenir.

 

On ne sait rien de ces adolescents là, ni qui ils sont, ni d’où ils viennent, encore moins où ils vont.

On ne rapporte d’eux que les histoires qu’ils créent et on énumère des troubles du comportement (impulsivité, passages à l’acte, intolérance à la frustration, troubles oppositionnels intra ou extra familial, délits mineurs etc.) ou des troubles de la personnalité (labilité émotionnelle, troubles des affects, absence de culpabilité, tendance à l’addiction, troubles de la relation à l’autre etc.).

On tente maintes hypothèses psychiatriques avec une grande errance diagnostique allant d’une oscillation entre troubles de la personnalité et troubles de l’attachement, états limites, bipolarité  ou troubles de l’attention avec hyperactivité, personnalité prépsychotique (on n’a même parfois réveillé l’héboïdophrénie), nouvelles organisations narcissiques (c’est plus récent), stade du miroir brisé etc.

On insiste parfois sur leur « préhistoire » avec carences affectives, poly traumatisme etc.

En fait, au lieu de les accueillir et de les accompagner, on se contente de leur courir après et quand on court après quelqu’un on ne sait vraiment pas où on va.

Notre hypothèse est que ce sont d’abord et avant tout des ados et que l’adolescence est en soi une sacrée aventure :

– une aventure singulière inaugurée par la puberté avec ses répercussions tant psychiques que bio-morphologiques et relationnelles. L’adolescence est le symptôme de la puberté, disait déjà Freud, et ses troubles sont en grande partie induit par les bouleversements pubertaires. En bref, l’ado à la puberté se coltine à trois grandes questions successives : Suis-je ? Que suis-je ? Qui suis-je ? Et il s’en sort comme il peut.

– une aventure collective, le groupe des ados, sorte de création culturelle des années 1900, avec ses effets sur la manière d’être au monde de chacun. Aventure qui se complexifie avec la crise du numérique et les bouleversements qu’elle induit dans les rapports au langage, au temps, à l’espace, à l’intime, au savoir etc.

L’adolescence, « création culturelle », n’est pas uniquement un défi éducatif ou thérapeutique, c’est un défi culturel, qui relève donc de réponses culturelles.

S’il faut « tout un village pour élever un enfant », il faut bien tout un pays pour accompagner un ado.

  • Tout un village : le village est un espace social constitué de témoins plus ou moins fiables de l’histoire (pour moi la préhistoire) d’un enfant. Chacun sait (ou est sensé savoir) d’où cet enfant vient (on connait ses parents, sa filiation), et on pressent où il va. Ce sont des compagnons de voyage vers l’âge adulte et souvent même au-delà ; Ces compagnons assignent un lieu à l’enfant
  • Un pays est composé certes encore de témoins de son histoire (c’est la dimension familiale) mais aussi de témoins de ses histoires (c’est ce qu’on peut appeler le familier). Les premiers savent d’où vient l’ado, les seconds ce qu’il fait et ce qui lui arrive. Ce sont des compagnons de passage. Ils n’offrent pas de lieux mais permettent de nouer des liens.

L’adolescent se construit au travers ce dans quoi il est inscrit, ce qui lui a été prescrit et des liens auxquels il a souscrit

Si l’adolescence est une conversion (en l’adulte qu’on attend de lui), parfois une réversion (en un adulte totalement différent de ce qu’on attend), les incasables sont une subversion (un grand renversement).

La subversion, c’est ce qui renverse les codes et les valeurs en place et met ainsi en cause le pouvoir.

La subversion interroge (met en cause, fait parler et conteste) et c’est bien ce que l’incasable induit par ses aspects diaboliques (au sens de Saint Augustin, le diabolique est ce qui rompt le lien, l’alliance, à l’inverse du symbolique qui met en lien). Elle ne bouge pas les lignes mais elle les occulte. Il n’y a plus de bien ou de mal, de fidèles ou d’infidèles, d’élus et de goys (une ligne de démarcation imposée d’ailleurs par le monothéisme). Il n’y a que : ce qui me fait du bien et ce qui me fait du mal. Il n’y a plus de bord, rien qui puisse faire limite. Alors, on est tenté de l’envoyer « promener », au Sénégal pourquoi pas, comme pour qu’il aille voir ailleurs si il y est. Mais une fois qu’il y est ailleurs, que faire ?   

Osons une métaphore horticole : une plante est en plein marasme, elle se dessèche car elle n’a pas pris racine, une autre pousse n’importe comment. On les dépote alors pour les rempoter ailleurs avec l’espoir qu’elles y prendraient racines. On les dépote en prenant soin d’emporter aussi un peu de la terre d’origine que l’on va mêler à la terre sénégalaise par exemple et ajouter de l’eau, des engrais et apprêter ce qui pousse en long, en large et surtout en travers pour dit-on « dégager  un tronc ». Attention, prendre racine n’est pas se radicaliser, car la racine devrait savoir qu’elle n’est pas l’origine de la plante, elle n’est que le support actuel de son implantation. Une personne radicalisée n’est pas quelqu’un qui a pris racine, dans une religion par exemple, c’est quelqu’un qui se prend pour sa racine.

Aventures Nomades propose un dispositif, un nomadisme certes (pour dépoter l’incasable) mais surtout un itinéraire au travers d’expériences diverses et vers un avenir que l’on espère le plus radieux possible. Un itinéraire au travers de divers lieux où peuvent se nouer des liens auprès des compagnons de voyage, ici pour l’essentiel les psychologues de la cellule clinique et les éducateurs qui savent, un peu, d’où vient l’ado, et auprès de rencontres avec ces compagnons de passage que sont les membres des équipes partenaires du projet . Un itinéraire vers « l’ombre portée de lui-même » quand il aura trouvé le terreau adéquat où prendre racine et se développer

Dernière métaphore : pour un ado incasable, la vie est un costume trop large dans lequel il semble flotter ou un costume trop étroit qui l’engonce et l’étouffe. On lui tend des costumes prêt à porter, des costumes fait pour les autres, des costumes d’emprunts alors qu’il cherche un costume fait sur mesure qu’il endossera volontiers quand il saura enfin prendre ses mesures.

 

Travail clinique 

Prendre la mesure, c’est la base de tout travail clinique, un incontournable, un préliminaire à toute action éducative et/ou thérapeutique. Cela prend du temps, ça peut aller très vite car l’ado n’a pas de temps et ça peut demander des semaines, voire des mois ou de bonnes années. Il ya des ados-lièvres et des ados-tortues.

Au début, à Aventures Nomades, on se disait artisans, artisans de l’accompagnement éducatif pour les uns, des gens capables de définir un chemin convenable pour l’ado, et artisans du soin pour les autres, capables de suivre le cheminement de l’ado en question, un cheminement vers l’adulte qu’il sera à terme. L’adolescent n’est pas chez nous uniquement pour grandir, il grandira de toute façon sans nous, mais pour se recrée. Aventures Nomades n’est pas uniquement une cour de récréation, où l’ado peut se laisser régresser sans danger, ce qu’il fait parfois goulument, c’est surtout une course de recréation où l’ado se mue en un autre lui-même. Finalement, la plus belle des rencontres qu’il est invité à faire, c’est la rencontre de lui-même. « Un jour, je me suis rencontré, je me suis dit Guillaume faudra bien que tu viennes, afin de connaitre celui-là que je suis, moi qui connait les autres » (Guillaume Apollinaire). A force de mieux connaitre les autres, il va bien finir par se connaitre lui-même, espère-t-on.

Un artisan est celui qui invente son métier à chaque ouvrage : il a un bon savoir faire, une grande technicité, de bons outils voire des machines susceptibles d’œuvrer « machinalement ». J’ai entendu un jour, Jean Oury parler des savetiers, des cordonniers, en fait des sabotiers (Ceux qui fabrique des sabots). Avant de se mettre à l’ouvrage, ils vont examiner scrupuleusement les pieds du client, vont faire le tour de leurs outils, quitte à en instrumentaliser certains (les utiliser à contre-emploi, un outil inutile devient ainsi un instrument salvateur), puis ils vont examiner le morceau de bois à transformer en sabot, cherchant les failles, les nœuds, les imperfections pour « faire avec ». L’artisan est de fait un clinicien.

 

Alors, on va parler de clinique.

Et dans un premier temps de clinique de l’accompagnement. Dans cette acception, la clinique est une « architecture » susceptible d’offrir des services divers, comme la clinique Saint Jean , Saint Roch, Clémentville etc à Montpellier.  Il s’agit de faire l’inventaire des outils dont nous disposons qui certes ne seront pas toujours opérants mais qui seraient tout de même utiles. Et même parfois dans ces cliniques, il faut savoir innover, en adaptant les outils en instruments. Ainsi dernièrement, une jeune femme devant être hospitalisée en médecine interne, s’est retrouvée en gérontologie. L’outil « lit de gérontologie » est devenu « instrument de médecine interne ». Le réseau Resilado dans l’Hérault en est un bon exemple. Il s’agit de réunir « tout un tas de gens » autour d’une situation, des gens qui se disent souvent incapables et/ou non désireux de s’occuper d’un « incasable », pour arrêter de chercher désespérément celui qui serait compétent mais de faire la somme de ces incompétences pour enfin faire quelque chose. Faire la somme des compétences partielles comme en mathématiques on cherche l’intégrale des différentielles.

A Aventures Nomades, on présente à l’ado les outils dont on dispose : des éducateurs (ça il connait pour en avoir déjà épuisés), une cellule clinique composée de psychologues et d’un psychiatre (ça il connait moins et n’en comprend pas toujours l’intérêt), de partenaires divers, des séjours au Sénégal ou aux Iles du Cap Vert (de 6 mois pour l’un et 4 mois pour l’autre). L’ado souvent choisit le Cap Vert car tout simplement ça lui parait moins long (Alors on va arrêter de lui parler de durée de séjour). On essaie ensuite de construire son parcours au travers de notre dispositif. Au départ, c’est un parcours embarqué, un parcours construit pour lui mais par nous, on lui demande de nous suivre et de se laisser porter. Puis ce parcours s’individualise, il devient processuel : l’ado a son mot à dire dans cette co-construction. Il était passager du voyage, le voilà en conduite accompagnée. Ce qui nécessite de la part de nos artisans, au-delà de leur savoir faire, d’autres qualités comme la disponibilité, la réactivité et la créativité. Tout ceci pour qu’à terme l’adolescent devienne l’artisan de sa propre vie.

 

Après la clinique de l’accompagnement, voici l’accompagnement clinique.

Un accompagnement, c’est d’abord une relation particulière avec une dissymétrie relationnelle basée sur le respect et la confiance entre des adultes qui ne doivent pas « jouer à l’ado » et des adolescents qui ne doivent pas se croire déjà adultes et qui ont le courage d’accepter de l’aide. Une relation qui ne doit être ni trop étroite comme si l’accompagnant se devait de porter l’ado, ni trop lâche car l’ado se perdrait.

L’accompagnement se situe entre l’assistance (faire les choses à la place de l’autre) et l’entraide (avec une relation symétrique comme cela se passe entre adultes) qui est notre lot, nous les autonomes qui ont souvent besoin d’être dépannés quitte à en payer le prix.

Pour accompagner quelqu’un, il faut d’abord évaluer au mieux son besoin d’aide (de quoi manque-t-il, en est-il gêné, empêtré, handicapé ou souffre-t-il de ce manque, n’a-t-il pas les moyens de s’en sortir seul ?) et bien doser la « quantité d’aide » à lui fournir (autrement dit quel contrôle social doit-on mettre en place). Le talent des éducateurs est de doser ce contrôle social : s’il y en a trop, l’ado se sent infantilisé et se révolte refusant alors toute aide, s’il n’y en a pas assez, il risque de retrouver ses « vieux démons » qui l’empêchent d’avancer.

Et il faut surtout penser à notre propre besoin d’aider. Il en va de nos emplois, de notre budget, de notre fonction…bref, c’est nous qui avons besoin d’aide. Sans ados incasables, il nous faudrait travailler ailleurs. Un peu, et c’est une caricature, comme si notre sabotier de tout à l’heure acceptait, pour sauver son emploi, de confectionner des sabots pour un cul-de-jatte. Vous me direz qu’il lui faudrait d’abord confectionner des prothèses de jambes et de pieds, en somme de faire un autre métier avant de faire le sien. C’est ce qui m’arrive parfois auprès des têtards dans le marécage de leur début d’adolescence qu’il faut entourer, surveiller, contenir…dans un espace « intra et extra psychique » (bref jouer au pédopsy travaillant dans l’espace) jusqu’à ce qu’ils leur poussent des ébauches de pattes et que leur viennent l’idée de sortir du marécage pour prendre le temps de devenir grenouille ou crapaud (et là, je retrouve ma place de psychiatre pour adultes travaillant dans le temps).

Et il faut savoir jusqu’où on peut aller trop loin. L’ado finit par ne plus avoir vraiment besoin de nous et il y a un moment où il convient de descendre de la voiture pour le laisser seul au volant.

Le sabotier finit par trouver son travail suffisamment terminé, même s’il ne sait pas comment ces sabots vont être utilisés, ni où ils vont voyager. 

Article : Robert Bres

 

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