Comment parler de sexualite avec des adolescents ?

LOU PAPEL DOU PAPE NUMERO 7 NOVEMBRE 2022

Présentation de l’article

« Lou papel du Papé » (en occitan, ça veut dire le bulletin du vieux) est un bulletin de réflexions, de recommandations, de commentaires divers à propos de l’évolution d’Aventures Nomades. Il n’engage que la responsabilité du « psy du coin », même si ces élucubrations sont discutées avec les psychologues de la cellule clinique. Il s’agit d’apporter une pierre à l’édifice.

« Comment parler de sexualité avec les adolescents » Robert BRES , Intervention à la journée « Sexualité et Adolescence » du CRIAVS, CHU Montpellier

18 NOVEMBRE 2022 

1/ Remarques préliminaires

– Les adolescents constituent un groupe très hétérogène avec des enfants attardés en adolescence, des adultes précoces et des égarés en exil d’eux-mêmes : des tortues, des lièvres et des paumés empruntés et déplacés.

On va donc devoir parler de sexualité avec des initiés déjà, des pratiquants du sexe parfois, des connaisseurs bien informés souvent,
et aussi avec de grands inhibés effarouchés ou amusés par ces gaudrioles. Et il y a les traumatisés par des expériences subies (viols, incestes, tournantes…) ou par des informations ob-scènes (en avant de la scène) dénichées comme à l’insu de son plein gré, ou révélées brutalement au décours d’une vidéo, par un adolescent encore hors d’état d’y comprendre quoique ce soit.

Vous m’avez compris, il s’agit de rencontres singulières qui se conjuguent donc au singulier.

Le sexe comme le soleil et la mort, est un objet que l’on ne peut voir de face, ça éblouie, ça bouleverse et ça fascine. Pour le soleil et la mort, on détourne le regard, alors que pour le sexe ce regard est capté. « Cachez ce sein que je ne saurais voir » dit l’homme qui n’en perd pas une miette et ne peut se détourner. Il en a plein les yeux et la bouche close.

– Toute communication entre adultes et adolescents est délicate et parler de sujets tels que la sexualité l’est encore davantage. Elle se heurte entre autre aux rapports différents au langage qu’adultes et ados (du moins une grande partie d’eux) entretiennent. On parle « pareil » mais on ne dit pas la même chose. Pour l’adulte, le mot est un signifiant équivoque qu’il s’agit d’interpréter alors que pour beaucoup d’ados, c’est un signe univoque qu’il suffit de décoder.

Pour les plus anciens d’entre nous : souvenez-vous de cette adolescente un peu gourde qu’était France Gall à l’époque quand elle chantait « Annie aime les sucettes… » sans entendre ce que ce pervers de Gainsbourg lui faisait vraiment chanter. Elle ne l’a compris que plus tard, rougie de honte d’autant qu’elle avait eu vraiment plaisir à le faire. Et là où elle suçait encore son pouce, Gainsbourg insinuait que ce n’était pas un pouce.

La communication se heurte aussi à la crainte de l’ado des intentions dissimulées qu’il prête à l’adulte : « que cherche-t-il à savoir de moi sous ses airs patelins ? et que va-t-il faire de ce que je lui dis ? »

2/ On parle, et d’abord, qui parle ?

-Les parents, soucieux d’en savoir exactement, inquiets de dérives ou de maladresses probables, des parents encore trop jeunes pour entendre ces vérités ou trop aguerris pour se satisfaire de non-dits et de mensonges. Non, les parents sont les plus mal placés, confondant l’intimité de l’ado et la leur, trop pris dans des élans passionnels, trop proches aussi ou trop faibles aux yeux de l’ado qui cherchent encore à les protéger. Les parents attendent des réponses non pas à leurs questions, mai à leurs inquiétudes. Alors ! Exit les parents de l’intimité de l’ado

-L’éducateur ou plus exactement le discours éducatif ? Pour l’ado, il est celui qui doit apporter des réponses, conseiller et contrôler, dire ce qui est bien ou mal, compatible ou pas etc. Il est celui qui sait, chargé de contrôler ce que l’ado sait. Alors, l’ado lui sert la leçon attendue, « se la raconte » parfois, mais ne se risque souvent pas à parler de lui

-Un quidam quelconque, déguisé parfois en psy chologue ou chiatre, psy-éduc ou « psychiste », un « irresponsable » au sens qu’il n’a pas de réponse, sur lequel l’ado peut reporter le lien affectif permettant de babiller sans crainte (on appellerait cela un transfert), un babil qui ouvre progressivement à la parole. Ce babil n’est une parole que dans la stricte mesure où il y a quelqu’un pour y croire. Et croire qu’il y aurait quelque chose d’autre à entendre qu’une simple musique de mots. Des quidams de ce genre, il y en a au planning familial, aux Points Ecoute (les biens nommés, ce ne sont pas des points réponses), la Maison des Ados…

 

Soyons clairs : pourquoi vouloir parler de sexualité avec les ados ?

– Par voyeurisme ?

Quand même pas, je l’espère. Même si l’ado suspicieux de nos intentions masquées, se régale à nous livrer des propos scabreux, comme cette jeune fille qui me racontait avec force détails une scène de viol subi de la part de son oncle, un homme de mon âge me précisa-t-elle, en m’observant à la dérobée au point que je me suis demandé qui avait violé qui dans cette histoire

– Pour l’éduquer ?

En lui transmettant des informations diverses et en se posant comme un enseignant qui saurait bien sûr de quoi il parle. Alors que l’ado en sait souvent plus que lui grâce à sa dextérité à accéder aux @-savoirs. Il sait, même s’il ne comprend pas toujours ce qu’il sait.

– Pour le mettre en garde contre des dangers ou des errances préjudiciables ?

On imagine le pire dont il faut le prévenir. Et l’ado nous regarde parfois goguenard, amusé par ce qui nous passe par la tête pour ânonner de telles choses sordides et pour lui totalement exagérées voire même quasiment délirantes. Il ri de ce qu’il imagine qu’on pense et de ce qu’il pense qu’on imagine.

– Par prévenance ?

Afin que le meilleur puisse advenir. Et le meilleur serait un rapport sexuel « complet », une vraie rencontre, un au-delà de soi, goinfré de la présence et du plaisir de l’autre. Il faut pour cela prendre son temps, revisiter ses pulsions partielles des différents stades (oral, anal, phallique) avant de céder au primat du génital. Prendre son temps, être attentif à l’autre, voilà ce qui est difficile pour un ado qui ne souhaite que d’ « aller droit au but » car il n’est pas propriétaire de son temps, il n’est que locataire du temps des autres. Pour passer du « naturel » de la génitalité et parvenir à l’érotisation (ce qui sous entend des effets de culture), il semble primordial d’avoir eu accès à l’ordre œdipien. Ce qui n’est pas donné aux ados.

Sans ce temps à prendre et à donner, sans ce plaisir des préliminaires annonciateurs d’un plaisir intense, l’amour, n’est que de la gymnastique, nos ados garçons des éjaculateurs précoces et nos ados filles des « mal baisées » ou plus banalement des insatisfaites.

Un petit détour dans les statistiques : on estimerait à 130 par an le nombre de rapports sexuels d’une femme en France pendant environ 30 ans soit prés de 4000 rapports dans sa vie. Comme en moyenne, une femme en France donne naissance à 2 enfants, on en conclut que 99.95% des rapports ne sont que pour la gaudriole et que la probabilité d’avoir un enfant suite à un rapport sexuel est de 0.05%, ce qui statistiquement n’est pas concluant. Selon donc ce raisonnement pris avec un sérieux scientifique quasi autistique, il n’est pas prouvé qu’un enfant naisse suite à un rapport sexuel. Ah bon ? Alors, prenons la chose à l’envers, retournons la pour la prendre autrement (j’en vois qui sourient dans la salle, « par derrière » rigolent-ils) : une femme qui n’aurait aucun rapport sexuel, et bien !, n’aurait pas d’enfant non plus. Et bien non, il reste les éprouvettes par exemple et les mères porteuses de nos jours, les cuvettes de WC sales en des temps plus anciens, donc ça ne va plus non plus.

Et si on veut parler à un ado de sexualité, de quoi veut-on parler en fait ?

De la sexualité en général comme un cours d’anatomie ?

De notre sexualité et de nos propres tourments et incompétences ?

Du rapport sexuel en des temps immémoriaux dont il est la trace ?

De la sienne de sexualité ? Mais alors que veut-on savoir ?

Mis en confiance quand il se sent respecté dans ses propos, l’ado peut se laisser aller à dévoiler son intimité même si il nous est demandé de ne pas chercher à démêler le vrai du faux. Car dans ses racontars, l’ado parle de lui et à partir de lui, de ses vérités psychiques, de son être sous son paraitre (par-être). Alors laissons le cheminer dans ses errances, sans jauges ni jugements.

3/ Il parle :

– De sa sexuation, son Anankè (la déesse de l’irréversible, de ce qui ne peut ne pas advenir)

Sexué, au sens de secare (coupé), l’ado ne peut être tout. Alors, s’il est garçon, est-il comme les autres, dans les normes (l’énorme ?), comme ce patient qui se désolait de n’avoir qu’un sexe de 2 ou 3 frédis croyant que le nom d’un acteur porno, Rocco Sifredi, était une mesure de longueur. Et si c’est une fille, est-elle comme ses copines ou comme sa mère et peut-elle être mère ellemême un jour ? Quitte à prendre le risque d’être enceinte pour vérifier qu’elle peut être mère.

Alors l’ado entre dans des jeux sexuels dont le but est de se rassurer sur sa normalité. Le rapport sexuel n’est pas une rencontre de l’autre, mais une rencontre avec soi-même. Ce n’est pas de l’amour, c’est de la gymnastique sexuelle, toujours ratée hélas car faussée par les modèles proposés par la pornographie et les racontars invérifiables des copains et copines. Et il ne tient pas à ce que son ou sa partenaire parle car il craint son jugement.

L’affaire se brouille de nos jours avec l’émergence de toutes sortes de sexuations comme si Anankè était obsolète. Il y aura bientôt autant de sexes que d’individus, le sexe ne fera plus coupure et on pourra rêver d’être tout. Anankè ira jouer ailleurs. Pour suivre ce que m’a dit un jour Jean-Jacques Rassial, il y aura sans doute moins de névrosés engoncés dans leur appareil psychique, mais plus de psychopathes et d’états limites trop seuls dans un monde trop grand pour aider à se contenir ou s’étayer.

Ananké va donc jouer ailleurs que dans la différence des sexes et elle va notamment jouer dans le langage. On peut parler de tout certes mais on ne dira jamais tout. Les mots sont trop petits pour contenir tout ce que l’on voudrait et comme ce qui se dit est dans ce qui s’entend par l’autre, on ne sait jamais vraiment ce qui a pu se dire. Il y a toujours une « perte pure », un innommable, un malentendu, un manque qui laisse à désirer, ce qui pousse à dire encore et encore.

Seul, le discours amoureux, faisant fi de tout objectif de compréhension pour ne transmettre qu’émotions et tendresse échapperait à l’irrémédiable de la perte pure. Il rejoint le babil enfantin ou « lalangue » maternelle dont la mélopée nous a bercés avant qu’advienne le symbolique et ses inter-dits, organisant les mots et scandant les phrases. Et faire de lalangue, la langue. Ainsi un homme assis à la table voisine de la mienne, roucoulait des choses insensées à sa compagne. Il la traitait de canard bleu entre autre et elle en était apparemment charmée. J’ai voulu intervenir en notant que cette jolie femme n’avait rien d’un canard et pourquoi bleu, mais je me suis abstenu. Il me parait plus que probable qu’ils ont eu ensuite un rapport sexuel

 

– L’ado parle de son rapport à l’autre, celui ou celle qui n’est pas comme lui, qu’il considère comme un autrui dont il faut se méfier et réduire à un cul, un porte-bite, des nichons, un trou sans aucun mystère autour. Il le déshumanise en sorte. Et surtout il ne veut pas qu’il parle car parler se serait reprendre une position de sujet et par effet de retour sortir l’ado de sa place d’objet muet de ses pulsions. L’humanisation, comme la déshumanisation, est contagieuse. Autrui ! L’ado ne parle pas à toi !

Puis, en grandissant, l’ado découvre qu’autrui devient l’autre, celui qui n’est pas comme lui mais qui est susceptible de l’enrichir de ses différences. Et surtout, il l’écoute parler et s’en régale.

Parler, ce n’est pas raconter des histoires données comme extérieures à soi-même. Parler, c’est surtout s’engager dans ses propos, devenir propriétaire de ce qu’on dit. C’est ce qu’on appelle s’affranchir de l’Œdipe et donc en finir avec son adolescence. Et voilà pourquoi madame, votre enfant est muet.

– Il parle aussi de son intimité ou du moins de ce qui lui en reste avec l’intrusion des réseaux sociaux dans les moindres recoins de ses histoires, de son histoire. L’intimité devient ex-timité, tout sort de scène, il n’y a plus de jeu possible (tiens ! de « je ») et en avant de la scène, nous revoilà dans « l’ob-scène .

4/ Il faut être clair avec les ados en acceptant de « jouer cartes sur table » et en précisant

1/ qui parle ?

– le parent et lequel ? La mère, le père voire la grand-mère et le grand-père dont on imagine une sexualité moins active et donc suffisamment de recul pour ne pas mêler leur intimité sexuelle avec celle de l’adolescent.

On imagine aisément la mère causant de ça avec sa fille et le père avec son fils car il s’agit d’histoires de femme pour les unes et d’histoires de mecs pour les autres. Et dans ce cas, est-ce la mère ou la maman, le père ou le papa ?

– L’enseignant ou l’éducateur soucieux d’énoncer le conforme ou le non-conforme selon ce qui est inscrit au programme et qu’il livre « machinalement » comme la leçon du jour, ou qui intervient car des rumeurs diverses circulent ? ce qui embrouille l’ado qui ne sait pas ce que cet éducateur sait, ni comment il a pu le savoir. Leur rôle est d’amener des réponses à des questions que souvent l’ado ne se pose pas

– Le « psychiste » dont le rôle est d’amener des questions à un ado qui n’aime pas beaucoup qu’on « lui prenne la tête »

– Le confesseur, le moraliste ou le religieux chargé de rappeler le bien et le mal

– Les autres ados, les pairs-aidant ou pas

 

2/ de quoi parle-t-on ?

 

 

Quelle est notre intention ? En gros, que venons nous faire ici et qu’allons-nous faire de ce qui se serait dit ?

 

 

3/ Comment en parler ?

 

 

Au singulier, dans un dialogue singulier, car l’intimité des uns n’est pas celle des autres (C’est un truisme, une vérité vraie, une évidence pas si évidente de nos jours)

Parler de sexualité avec un ado, ce serait dans l’intimité de notre entretien, le remettre en scène, là où le jeu (à écrire comme bon vous semble) redevient possible, crédible et entendable.

 

Article : Robert Bres

 

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