LOU PAPEL DOU PAPE

 

NUMERO 1

Avril 2020

Présentation de l’article

LOU PAPEL

« Lou papel du Papé » (en occitan, ça veut dire le bulletin du vieux) aimerait devenir un bulletin de réflexions, de recommandations, de commentaires divers à propos de l’évolution d’Aventures Nomades. Il n’engage que la responsabilité du « psy du coin », alias Robert, Einstein pour les uns ou Toubab Toubib Bob pour les autres, même si ces élucubrations sont discutées avec les psychologues de la cellule clinique. Il s’agit d’apporter une pierre à l’édifice (une pierre, c’est ein stein en allemand).

1/ Le voyage immobile :

Ils sont partis en itinérance (Justin, Aurélie et Ophélia au Sénégal; Sarah, Noémie, Elodie et D’Jevan en France), une itinérance en étoile, avec 3 semaines de « crapahutage » pour se gorger d’émotions, de rencontres, d’expériences, d’aventures en marée haute et 1 semaine de repos, répits, ressac à Warang ou dans le Gard pour digérer tout cela, se remettre « la tête à l’endroit » et, avec leurs éducateurs et psychologue référents, parcourir la plage à marée descendante pour y repérer ce qui s’y est déposé et ce qui s’y est désensablé, ce qui s’est révélé.

Sauf que le virus est arrivé et voilà nos itinérants confinés pour plusieurs semaines. Confinés collectivement, ce qui souligne ici l’importance de préciser ce qui constitue ce collectif : des jeunes dits en difficultés et des éducateurs, une infirmière, une cuisinière et autres. Ils sont « une grande famille », avec des places différentes, une « dissymétrie relationnelle », les uns se laissant porter par les autres et les autres chargés de protéger, accompagner, stimuler, soutenir, contenir etc.

Aux confins du confinement, que reste-t-il de l’aventure sinon de prendre le risque de se connaitre, de se fier les uns aux autres, de vivre ensemble, dans un temps creux, un temps suspendu, un temps de latence.

Alors, on peut s’occuper, tenter de cliver le collectif en groupes opposés (les ados d’un côté, les adultes de l’autre) et animer des conflits pour vérifier qui, in fine, a le pouvoir, alors que chacun sait bien que c’est David qui l’incarne et que c’est son intervention qui dans une grande mesure a mis fin à « l’émeute de Warang ». Les ados savent bien jouer de cette régression, ils sont passés experts à mettre le feu, provoquer les adultes, les convoquer à leur impuissance, à « faire ce qui bon leur semble ». Alors qu’on les prenait pour des petits chiens suivant docilement leurs maitres, ils nous montrent qu’ils sont des petits loups déjà prêts à mordre de leurs belles dents. L’adulte ne sait que répondre à ces provocations, il y perd son latin et si le psy peut servir ici à quelque chose c’est peut-être de proposer un glissement et substituer à « provocation », le mot « convocation », et on sait qu’à une convocation il suffit de répondre « présent »

Donc, les éducateurs de Warang, ont répondu présents et de fait renforcé le collectif : ils sont de nouveau ensemble, en voyageurs immobiles mais déjà dans la perspective de ce qui s’annonce, une fois le confinement aboli : une itinérance dont on parle, qu’on imagine, qui occupe chacun même si c’est de manière bien différente. Le voyageur voyage maintenant « dans sa tête ». Ce que je suis dépend de ce que je serai, disait Jean Paul Sartre (à peu près toutefois)

 

2/ Sur l’impossible et l’interdit :

Les « événements derniers » interpellent. Les ados en général et ceux-ci en particuliers, fonctionnent volontiers sur le mode possible-pas possible : ils sortent quand c’est possible, quitte à briser une fenêtre, ils fument quand « il y a de quoi », ils dorment tant que personne ne les gêne etc. Ils ont du mal avec l’interdit, ce quelque chose qui les empêchent de faire ce qu’ils veulent alors même que c’est possible comme ne pas avoir de relations sexuelles, alors qu’on leur fourni des préservatifs et qu’il y a dans le groupe même quelqu’un qui serait disponible et consentant. Certains pour éviter la confrontation avec l’interdit, préféreraient qu’on les mette « sous cloche » (quand les choses ne sont pas possibles, pas besoin d’interdits et le tour est joué).

Non, l’interdit de relations sexuelles persiste même s’il y a des préservatifs (c’est une « réduction » des dommages » à défaut d’une « réduction des risques » au cas où un interdit serait tout de même transgressé : une rambarde posée dans un virage sur une route à vitesse limitée ne sert à rien si tout le monde respecte la limitation de vitesse (elle ne sert en fait qu’à obstruer une jolie vue), mais peut se montrer très utile au cas où une seule personne allant trop vite rate le virage ; cette rambarde n’est pas là pour signifier que la vitesse n’est plus limitée, elle est un élément de réduction des dommages. Attention toute fois, le préservatif est à mettre à disposition, posé dans un coin, « sans avoir l’air d’y toucher » (sic !) par un éducateur que je n’imagine pas courir après l’ado pour lui glisser ce préservatif dans la poche comme une mère qui prendrait soin de lui rappeler de mettre un chapeau ou une casquette.

« Alors, si on ne peut pas baiser hors du groupe, peut-on baiser dans le groupe ? » encore moins dirais-je du haut de mes vieux printemps. Le groupe est une famille, nous a dit Noémie et dans une famille, on ne baise pas, on vit des relations de tendresse, d’affections, avec ses frères et sœurs, ses oncles et ses tantes, sa mère, son père, mais on ne baise pas. Cela s’appelle la chasteté (et oui ! ça fait con, mais ça s’appelle comme ça !). En latin, on dit « castus » et une relation non chaste est « in castus » qui a donné « inceste ». La chasteté, c’est apprendre à aimer l’autre sans le consommer pour autant. L’intimité est intime que si on la garde pour soi (c’est un truisme, une « vérité vraie »), sans la distribuer par-ci ou par là.

3/ Les relations avec le psy et l’éducateur référent :

Chaque jeune a un psy et un éducateur en référence. C’est avec eux qu’il va pouvoir ouvrir un peu les portes de l’intime et parler, en toute confiance, de lui, de ses histoires, de ses racines, de ses rêves etc. Les contacts téléphoniques notamment doivent rester dans cette niche de l’intime : l’ado pour se livrer doit s’isoler du groupe, se soustraire un temps des regards et commentaires et gagner ainsi une « niche a-conflictuelle » où il pourra se montrer à lui-même et ne pas s’exposer aux yeux des autres. Ce qu’il dit et ce qu’il montre est tenu par le secret. On (le psy et/ou l’éducateur) n’en parle que si l’ado a donné son accord. Il est tout aussi important que le psy et l’éducateur référents puissent communiquer entre eux, avec l’accord de l’ado ne serait-ce que pour rester en phase. Pour revenir sur la métaphore de la plage à marée basse, l’ado peut explorer avec ses référents ce que la marée a déposé ou ce qu’elle a révélé jusque là enfoui dans le sable, en les nommant devant ce témoin bienveillant sans avoir pour autant envie que « tout le monde le sache ». C’est son histoire et c’est à lui d’en parler (ou pas)

Et quand se termine son premier séjour, il importe qu’il garde contact avec ses référents et autorise un lien entre ces référents « d’avant » et ceux de « maintenant ». Le passage n’est pas une rupture, c’est une coupure, en mathématiques on appelle cela une « solution de continuité »

 

4/ Exercices pour la prochaine fois

Prenez un cahier propre, on va penser aux ados et tenter de dégager des éléments clés de leur parcours et leur histoire. C’est une préparation à une éventuelle communication au conseil scientifique par exemple.

  • Il y a d’abord, « la fille de l’air », celle qui pousse sans racines et s’accroche comme elle peut à ce qui l’entoure apparaissant comme une éponge à histoires
  • Il y a ensuite « la marche du lombric » qui s’étire et s’étire encore mais qui doit à un moment ou un autre se poser la question « essentielle » du lombric : soit il décroche et repart d’où il vient, soit il se lève le cul et avance encore
  • Il y a celle qui n’est pas en crise, car la crise nécessite qu’il y ait rupture et risque, mais surtout qu’il y ait totale incertitude dans le devenir. C’est le complexe du homard, qui quitte sa coquille, court alors le risque de se faire dévorer par un quelconque prédateur, mais il sait qu’au bout du compte ce qui sortira de tout ça sera un homard. Il n’est pas en crise, il est éventuellement en danger, voire en conflit
  • Il y a un bel exemple de tendance antisociale avec des vols, des mensonges, une grande suggestibilité et un suivisme étonnant chez un jeune « balloté » depuis toujours à la recherche d’une niche affective qu’il pense avoir perdu alors qu’il ne l’a jamais eu
  • A suivre

(Toute ressemblance avec des ados rencontrés est totalement fortuite)

Article : Robert Bres

Photos : Aventures Nomades / pexels.com

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